La Belle Epoque : les casernes de vacances

En un mot, encombrants.

Les enfants des riches ne posent pas de gros problèmes. On peut les oublier en pension, où ils ont tout loisir d’être malheureux comme des pierres.
Plus grands, ils développeront une grande variété de psychoses et feront la fortune d’une branche nouvelle de la médecine : la psychiatrie.

Oisifs, ils peuvent avoir de mauvaises fréquentations, sombrer dans l’alcoolisme et le crime. Ces petits vauriens deviendront des apaches ou des anarchistes, terreur des bourgeois de la Belle Epoque.

Certes, on peut abandonner les petits pauvres dans la rue, ou les revendre au marché des Enfants Rouges.
Mais le gaspillage est immoral et révolte le cœur des braves gens.

Car l’enfant constitue une ressource qui peut être valorisée, moyennant un traitement adéquat.
La colonie de vacances apporte une solution éducative et sanitaire qui bénéficie naturellement à la société toute entière.


A l’arrivée, après tonsure et épouillage (une heure de queue), l’usage est de mesurer et de peser les petits colons (une autre heure de queue), puis de recommencer à la fin du séjour six ou huit semaines plus tard (et une autre heure de queue).
Les médecins évaluent ainsi scientifiquement le progrès dû au séjour à la campagne.

On nourrit les enfants de viande grasse, de beurre et de lait frais. Dans leur innocence, les pauvres mômes ne se méfient pas plus que les canards qu’on engraisse au maïs.




Et chaque chose à son heure, et chaque heure a sa chose.
Le jeu aussi est obligatoire et prévu dans l’emploi du temps, tout comme la sieste, le balayage des dortoirs et l’épluchage des pommes de terre.

Mais il ne néglige pas la gymnastique pour autant : il faut que les enfants soient en pleine forme
Comment occuper utilement les longues journées d’été ?
C’est simple, les filles brodent au point de croix pendant que les garçons jouent à la guerre.

En vérité, quel meilleur usage pourrait-on faire des petits pauvres que de les sacrifier à une noble cause : prendre notre revanche sur l’Allemagne prussienne ?

Et en cas de survie subséquente, des citoyens sobres et respectueux des lois.

D’ailleurs les enfants n’ont rien contre, ils s’amusent beaucoup à défiler au pas, en uniforme et au son du tambour…
Mais le 3 août 1914 on arrête de jouer, c’est la der de der.
Je jure de reprendre l’Alsace et la Lorraine.

Et heu… La Belgique.