1968 – Le Châtiment des Pirates
En effet le Centre Nautique de Porto-Vecchio accueille les adolescents jusqu’à 18. Les activités des préados sont plus ou moins séparées, mais en pratique on vit ensemble et on reste à l’ombre des plus grands.
A l’arrivée ça ne me dérange pas trop.
Le Centre Nautique est équipé de beaux dériveurs modernes, accastillés de neuf.
Il s’agit de 420 et de petits 4 mètres Morin gréés en solo.
Pour l’initiation, il y a les sempiternelles Caravelles, et les Optimists : construction en contreplaqué marin et coque à bouchains vifs (angles vifs).
Alors là, jamais ! Mon sang impérial ne fait qu’un tour ! Il n’est pas question que je pose mes fesses sur les bancs d’une Caravelle.
Je n’ai que mépris pour ces barcasses poussives, visiblement conçues pour trimbaler des barils de morue séchée.
On y entasse six misérables gamins qui attendront patiemment leur tour pour tenir l’écoute de foc (vous savez bien, la corde avec laquelle on tire sur la petite voile).
Au bout d’une semaine, on les jettera deux par deux dans un Optimist, comme une paire de grenouilles dans une boîte d’allumettes.
Il reste un Optimist tout gréé, abandonné sur la plage. Je saute dedans et me voilà parti vent arrière.
Le petit voilier prend son envol, poussé par une brise guillerette.
Le golfe de Porto-Vecchio est d’une beauté magique.
Le soleil luit, l’eau est transparente et murmure gentiment sous la coque…
Jusque-là tout va bien, mais en me retournant vers le Centre Nautique, je constate qu’il s’est éloigné sournoisement dans mon dos.
Et à quelques centaines de mètres de la côte, le vent forcit sensiblement.
Qu’à cela ne tienne, j’ai la barre bien en main. je la pousse à bâbord toute, sans border la voile.
Pour virer, ça vire, et même ça chavire instantanément.
L’eau est bonne, merci.
Première leçon de voile : quitte à dessaler minablement, ne le faites pas en Bretagne avec des bottes et un ciré. Faites-le en Corse avec un maillot de bain.
Deuxième leçon de voile : on ne peut pas ressaler un Optimist (d’où vient le nom de ce truc ?), ça reste obstinément plein de flotte. Mais on peut s’y accrocher.
Je dérive donc au milieu du Golfe avec ma baignoire. Elle s’échoue sur un banc de sable de l’autre côté de la baie, près du camping de Sogno. Là je peux enfin redresser le bateau et le vider de son eau, mais comme je ne sais pas remonter au vent, cela ne m’avance guère.
Au début j’ai bon espoir d’être sauvé grâce au moniteur de quart, chargé de surveiller les embarcations des Fauvettes.
Soit ses jumelles ne fonctionnent pas, soit le bougre est occupé à autre chose.
Au bout d’une heure et demie, je me sens comme un flibustier maronné depuis trois jours sur un ilot désert, muni en guise de provisions d’un pistolet pour se brûler la cervelle.
Quand un moniteur vient enfin me récupérer en Zodiac, l’heure du goûter est passée. Il ne fait aucun commentaire, mais son œil narquois ne contribue pas à soigner mon amour-propre.
Mais non.
Le soir même l’information remonte aux oreilles du Directeur du Centre Nautique, personnage invisible et néanmoins tout puissant.
Côté respect des droits de l’accusé c’est pire qu’à Royan : je suis jugé en urgence et condamné in absentio.
Heureusement, comme le grand Vizir dans les contes des mille-et-une-nuits, le Directeur a une fille de douze ans. Silvia est une petite brune à l’œil vif avec beaucoup de caractère.
J’aime les filles qui ont du caractère, mais ce n’est pas le cas des monitrices, qui ne se disputent pas le privilège de l’accueillir dans leur équipe.
D’ailleurs Silvia ne veut pas plus que moi participer aux cours d’initiation, mais elle a de meilleures raisons : elle maîtrise parfaitement la voile. Ce n’est pas surprenant puisqu’elle passe une bonne partie de sa vie au Centre Nautique.
- je chaperonnerai la demoiselle qui n’est pas autorisée à naviguer seule.
- en échange elle m’apprendra la voile, d’autant mieux qu’elle ne souhaite pas barrer !
- enfin nous ferons ce que bon nous semble à condition de rester à portée de jumelles.
Bien sûr ça ressemble à un shotgun wedding, mais je ne vais pas me plaindre. Cette solution ne fait que des heureux, à commencer par nos moniteur(trice)s respectifs, qui ont l’air indécemment soulagés de ne pas nous avoir sur le dos.
Silvia et moi on s’entend bien, surtout qu’elle n’est pas bavarde…
Habituellement nous héritons d’un 420, dériveur léger et réputé instable (je confirme). Et voici comment apprendre la voile avec Silvia :
- si elle affiche un grand sourire, va benissimo, le bateau plane et nous avec,
- si son visage est détendu, va bene, je me débrouille,
Mais si elle prend l’air de la Princesse qui marche sur une limace avec un soulier de satin, c’est que je ne suis pas dans le tempo.
Mais Silvia ne songe jamais à se plaindre, même si elle est fatiguée ou si elle a froid. Ni même si elle se cogne durement le genou contre la barre d’écoute.
Le premier jour, le vent est bien frais, et nous avons dessalé une douzaine de fois. Nous sommes rentrés épuisés, mais nous avons appris à redresser le dériveur rapidement, avec le minimum d’effort. Dès qu’il reprend sa marche il se vide tout seul par des petites trappes arrières.
Le deuxième jour nous avons dessalé cinq ou six fois.
Les jours suivants une ou deux, pour le plaisir de mener le bateau à la limite.
Ils les laissent sécher derrière les tentes, ce qui empeste l’atmosphère jusqu’au Cap Corse.
Il ne reste plus au malheureux qu’à périr noyé dans d’atroces souffrances.
Oui je sais c’est bien fait pour lui, les nacres sont protégées. Mais à l’époque il n’y a pas d’écolos, il n’y a que l’écolo… de vacances.
Je plonge sans palmes ni masque, en tenant le grappin du bateau à bout de bras en guise de lest.
A quelques mètres de profondeur, j’aperçois trois ou quatre nacres qui font près de 50 cm de haut. Aucune ne recèle le moindre cadavre.
J’essaye de l’arracher du fond, mais elle se cramponne drôlement bien. Finalement, je me dis qu’elle ne tiendra pas dans mon sac.
Quand je remonte à la surface Silvia a l’air soulagée de me voir, bien que j’aie les yeux rouges comme un vampire de série B.
Cela ne me rend pas spécialement populaire chez les garçons plus âgés, je récupère quelques coups de coude à l’occasion.
Oooo Danièèèla la vie n’est qu’un jeu pour toi !
Certes il y a Evelyne qui me regarde parfois pensivement. Elle balance imperceptiblement des hanches quand elle passe devant moi au réfectoire. Je lui parle un peu après la veillée, elle est belle, brune… et sage ?
One Hundred Trillion Dollars of Deep & True Love
En général j’évite soigneusement ce genre de fille mais Evelyne est maligne, elle m’approche avec beaucoup de délicatesse. Il me faut une bonne semaine pour voir clair dans son jeu.
Evelyne, je suis mortifié d’être tombé dans tes filets comme un heu… poisson-lune. La prochaine fois que nous aurons quinze ans tous les deux, la maison ne fera plus crédit.
Pense à apporter ton cœur, on le posera sur la table.
Mais elle est trop jeune pour me faire une amoureuse, et puis son père me jetterait aux requins sans hésiter !
Allez, pour les plus de 21 ans rendez-vous en 69, année érotique.
Merci à toi Jacqueline, ça m’encourage à reprendre la plume…
Merci, c’est génial