1966 – La Nuit des Traqués
A Royan nous séjournons à l’internat du collège Emile Zola.
La ville de Royan est un régal pour les fans d’architecture « Spirou ».
Grâce aux efforts conjugués de nos amis allemands et américains, la ville est toute neuve.
C’est sûr, ça change de Porto-Vecchio.
C’est une station chic !
Il y a des dames élégantes,
et des belles voitures.
Mais alors la plage est moins bien.
A première vue, elle est vaste et accueillante.
En fait elle est à géométrie variable.
Plus elle rétrécit, plus la densité des vacanciers augmente.
Les derniers survivants sont balayés par les flots, ou happés par les marchands de glaces.
A Royan, le Boss c’est moi.
Etre chef confère de lourdes responsabilités : j’arbitre les différents entre les garçons, toujours prompts à faire le coup de poing et je défends nos intérêts face aux moniteurs.
Enfin je prépare les grosses bêtises, celles qui demandent de l’audace, du secret, de la coordination et de la précision dans l’exécution.
Je débute ma carrière criminelle avec le sang froid de Fantômas.
Je subtilise une clé du portail de service et je la dissimule dans les lavabos du préau. On peut maintenant sortir discrètement du lycée, mais on n’ira pas bien loin.
Nous profiterons de la nuit du samedi, car nos adversaires seront en position de faiblesse : il y a deux moniteurs et deux monitrices de repos chaque weekend.
Vers une heure du matin nous nous rendrons sur la plage de la Grande Conche pour prendre un bain de minuit, ou plus exactement de une heure trente du matin.
C’est un bon plan, mais les filles font (toujours) des histoires. Elles ne tiennent pas à se baigner la nuit.
Et s’il y avait des requins ?
Des requins à Royan ?
Ben oui, des requins nocturnes !
Ce n’est pas gagné.
Nous convenons de nous retrouver la nuit même dans le dortoir des filles, pour poursuivre le débat.
Nous arrivons à pas de loup et nous tentons de réveiller discrètement les grandes,
mais elles dorment à poings fermés.
Evidemment les petites se réveillent aussi, et elles se mettent à rire et à pépier comme des moineaux.
La conférence est à peine commencée que débarquent ces grandes andouilles de moniteurs.
Et tout habillés ils sont ! L’affaire renifle la trahison.
Au grand effroi de mes lieutenants, ils décident de prévenir le Directeur de la colonie, compte-tenu du flagrant délit et de l’extrême gravité des faits.
Et pourquoi pas le Procureur du Tribunal de Grande Instance ?
A une heure du matin l’idée est saugrenue, mais les moniteurs de Royan sont un peu bas de plafond, ils n’en démordent pas.
Nous restons donc sous bonne garde tandis que l’un d’eux se dévoue pour réveiller le malheureux Directeur. En théorie il est de garde tout le weekend, pour compenser l’absence des moniteurs de repos…
Un quart d’heure après, le moniteur revient tout penaud, car de Directeur il n’y a point !
Le lendemain matin, je suis seul à être convoqué dans le bureau directorial. Le Dirlo ne s’intéresse pas au menu fretin, et il a l’air de méchante humeur.
Je m’abstiens donc de lui demander s’il a été mieux accueilli que moi dans son équipée nocturne.
A mon grand soulagement, il n’est pas au courant de la disparition de la clé du portail de service.
En colo, rien, que l’arbitraire directorial et dictatorial.
Sans témoins, sans avocat et sans considération aucune pour les droits du justiciable, je suis jugé sommairement et condamné à une journée de travaux d’intérêt général.
Privé de plage. C’est inique.
Pendant que je mets les couverts au réfectoire, je papote avec les dames de service.
Elles me gavent de pâtes de fruits pillées à l’économat.
J’ai une autre compensation, mon triste sort a ému les monitrices…
Elles me parlent gentiment, elles sont même prêtes à me faire un bisou pour me consoler.
Objectivement, ça fonctionne assez bien.
Ce n’est que le début de mes démêlés avec la justice expéditive des Directeurs de colos.